Dans cette interview exclusive, Fabien, à présent surnommé localement « le marathonien du Mt Aspiring », accepte de répondre à nos questions.
Alors Fabien, ce dernier mois était plutôt intense pour toi, non?
Oui effectivement! J’ai enchaîné 4 trips pour le compte d’Aspiring Guides, la compagnie pour laquelle j’avais déjà un peu travaillé cet hiver. Le truc c’est que le stage pour l’ascension du Mt Aspiring dure minimum 5 jours histoire d’augmenter les chances d’avoir un créneau de beau temps pour tenter le sommet. On est bien content quand ça dure que 3 jours, mais ça m’est arrivé qu’une fois… sinon tu restes bloqué là-haut à regarder la pluie tomber depuis le refuge.
La compagnie t’a filé du boulot assez facilement alors ?
Ils sont même super contents d’avoir des guides qui peuvent jouer les renforts, même si ça ne dure qu’un mois! Ça a l’air de tourner plutôt fort leur affaire, et les guides UIAGM (diplôme reconnu à l’international) ne sont pas monnaie courante par ici : y’a qu’une quarantaine de guides néo-zélandais au total, et au bureau y’en a qu’un seul (Tony, le locataire de la yourte), donc faut bien des guides étrangers : anglais, français, italien, péruvien… Ça a surtout été difficile de leur faire comprendre que je ne voulais pas travailler plus!
En résumé, comment se sont passées ces différentes courses ?
La première j’étais avec Whitney (le guide chef) avec chacun un client, un couple de jeunes allemands bien affutés. On est resté coincé 2 jours à quasi pas pouvoir sortir de la hut tellement il pleuvait des sauts. La météo s’est finalement améliorée, le temps de faire le sommet et de redescendre le lendemain par Behven Col : c’est une grosse journée, et la chaleur était vraiment étouffante, j’ai fini par marcher pied nu et en caleçon, de toute façon on était dans des pâturages !
Le second trip c’était mon « expé chinoise »: mon client était malais (un jeune de Singapour) et l’autre guide, Tim avait deux jeunes chinois. On n’a pas pu faire le sommet car les clients n’étaient pas assez en forme mais le stage était quand même sympa. Et puis Nathalie est montée me rejoindre avec Jérôme et Vanessa à French Ridge hut pour le dernier soir, c’était bien top !
Ensuite on a fait un trip avec trois clients de Tasmanie, et Tony et Simon étaient avec moi pour guider. Le temps a été idéal et on était de retour en trois jours : faut dire que les clients ont préféré reprendre l’hélico pour la descente, et je l’avoue, j’en était bien content quand je pense à la monstre bartasse que ça m’a épargné ! Ce coup-ci on a bivouaqué au pied de l’arête, ce qui vous économise deux heures de traversée du glacier avant d’entamer vraiment l’ascension. C’était la canicule là-haut : on s’isolait dans les tentes en mettant les duvets sur le toit, impossible de rester dehors en plein caniard.
Enfin, le quatrième stage ne m’a pas conduit au sommet, la météo était vraiment galère. Après avoir repoussé deux fois le départ car l’hélico ne pouvait pas décoller à cause du temps (on se fait à chaque fois déposer au col, à 1h30 de Colin Todd hut), on a pu s’envoler et profiter de la journée pour faire un petit sommet, le Mt Behven, avant de passer une journée enfermé dans la hut. Les jours qui ont suivi n’étaient pas mieux, on a donc fini par redescendre à pied, en deux jours car mon client était vraiment fatigué. La descente était bien épique, il a plu des seaux d’eau et on a du traverser une rivière en crue: Aritza, le guide péruvien qui était avec moi, est passé premier pour qu’on tende une tironienne pour aider nos deux clients à traverser. Le mien a quand même mis la tête sous l’eau alors que je l’aidais à traverser… Mais ils étaient super contents au final, c’était la bonne aventure. Et comme dirait Aritza: « En NZ, c’est comme dans le Seigneur des Anneaux, tu sais jamais ce qu’il peut arriver ».
D’un point de vue professionnel, tu as donc travaillé avec d’autres guides, sans doute avaient-ils des pratiques un peu différentes des tiennes ?
En utilisant le passage par la rampe de neige pour monter jusqu’au sommet du Mt Aspiring, j’ai pu apprendre des techniques que j’avais jamais utilisé, avec des pieux à neige pour tirer des longueur. On fait rarement ça chez nous car y’a pas autant de neige qu’ici en alpi estival. Mais bon, je préfère nos sommets qui offrent des courses moins enneigées et plus rocheuses, et aussi plus technique et sans hélico ! Ici t’as le choix entre le Mt Aspiring et le Mt Cook… c’est presque tout ce qu’il vende aux clients comme course d’alpi en été.
Pour finir, deux trois choses que tu garderas en mémoire.
Le métier de guide ici est vraiment différent de celui qu’on exerce dans les Alpes, beaucoup plus fatiguant : tu t’occupes de tes clients quasi 24/24, tu fais ton menu puis les courses avant le trip, tu remplis pas mal de paperasses avant et près, tu fais à manger, tu passes beaucoup de temps avec ton client (surtout quand tu restes bloqué à la hut par le mauvais temps pendant 3 jours!), en bref c’est plus fatiguant. Dès que tu veux sortir en montagne, c’est tout de suite la mission ou presque, c’est nettement plus élitiste que par chez nous même si les sommets ne sont pas forcément très dur techniquement. En tout cas, je suis bien content de cette expérience !